Quels sont leurs moyens de communication ?

La lecture labiale et l’expression orale

La pression est généralement très importante sur l’enfant et sur l’adulte sourd/malentendant pour qu’il soit en mesure de s’exprimer oralement et de lire sur les lèvres. A tort ou à raison : cela s’explique par le fait que cette capacité est encore très souvent considérée comme un gage d’intégration à la société, voire la condition minimum.

Par conséquent, tout est généralement mis en œuvre pour que les enfants sourds/malentendants apprennent à parler. Cet apprentissage se fait, pour certains, assez sereinement et bien. Il constitue alors par la suite, un vrai atout social, tandis qu’il se révèle être très pénible et infructueux pour d’autres. Pour ceux-ci, il se fait même souvent au détriment d’autres apprentissages scolaires/intellectuels/sociaux/émotionnels et psychologiques. Parfois l’enfant n’en prend conscience qu’à l’adolescence ou à l’âge adulte. Ces enfants, une fois devenus adultes, doivent se construire dans la continuité de cet apprentissage, qu’il se soit bien ou mal passé.

Pour les adultes entendants qui deviennent sourds, c’est différent. Ces personnes ont déjà appris à parler et souvent elles souhaitent elles-mêmes pallier à leur surdité par une meilleure audition et une capacité de lecture labiale. Néanmoins, l’entourage peut aussi mettre la pression sur la personne pour qu’elle fasse tout pour rester ce qu’elle était : entendante.

La thématique de la capacité, pour une personne sourde/malentendante adulte, d’oraliser ou non, et de pratiquer une langue signée ou non est complexe et est liée à la question de l’identité de la personne et de comment elle se perçoit. Et par conséquent de comment elle est perçue par les autres.

Il est de plus en plus fréquent de voir des personnes sourdes/malentendantes adopter à la fois des moyens de communication oraux et signés. L’apprentissage de l’un ne se fait pas au détriment de l’autre, contrairement à bon nombre d’idées reçues. Chez les enfants sourds, c’est la pédagogie employée et la manière dont vont être menés ces apprentissages conjoints qui vont avoir de l’importance.

Les langues signées / Les langues des signes

Ce sont des langues à part entière qui ont un vocabulaire, une grammaire et une syntaxe qui leur sont propres. On distingue les signes « standards » (repris dans les listes de vocabulaire) des signes plus « iconiques » (des représentations signées, improvisées de concepts simples ou complexes). Cette information est importante pour comprendre que l’étude du vocabulaire à elle seule ne suffit pas pour maîtriser la langue des signes et que ce n’est pas parce qu’il n’existe pas d’équivalent signé strict à un mot qu’il est impossible de le représenter en langue des signes.

La méthode et le temps d’apprentissage des langues signées est souvent sous-estimé, notamment parce qu’on sous-estime la richesse de ce qu’elles peuvent exprimer.

Vous aurez remarqué qu’on ne parle plus de « la langue des signes », car il y en a plusieurs. Tout comme on ne dit pas « la langue orale », il faut désigner laquelle.

En Belgique francophone, la langue signée d’usage et reconnue par la Communauté française en 2003 est la Langue des Signes de Belgique Francophone dont l’abréviation est « LSFB ». L’acronyme ne correspond pas à l’appellation et c’est normal.

Dans cet encadré vous pourrez y trouver une explication fournie par un acteur important de cette reconnaissance. La LSFB n’est reconnue que depuis le 22 octobre 2003 mais est pratiquée en Belgique depuis plus de deux siècles.

Pourquoi l’acronyme ne correspond pas à l’appellation ?

 

«Les raisons pour ce choix un peu paradoxal : lorsque l’étude de faisabilité de la reconnaissance de la LSFB a été rédigée, il a fallu choisir le nom de la langue des signes utilisée par les sourds en Fédération Wallonie-Bruxelles. […] Il a finalement été décidé de retenir «langue des signes de Belgique francophone» […] Et l’abréviation LSFB [a été adoptée] parce qu’il a été souligné que notre langue vient de la LSF et tant la LSF que la LSFB sont encore relativement mutuellement intelligibles. C’était aussi un petit clin d’oeil aux Français qui nous ont apporté la LSF au début du 19e siècle, langue des signes qui a ensuite évolué pour devenir la LSFB telle que nous la connaissons.»

 

Source : La langue des signes de Belgique francophone en 2013, Sournal, Trimestriel de la Fédération Francophone des Sourds de Belgique, n°117 – Janvier / Février / Mars 2013, p.6

Les langues signées sont des langues qui, jusqu’à l’apparition des systèmes d’enregistrement vidéo modernes, sont essentiellement des langues vivantes dites « à tradition orale ». Là, le mot « oral » n’est pas correct, mais anthropologiquement et linguistiquement parlant, c’est le terme que l’on utilise pour désigner les langues qui n’ont pas de système d’écriture et ne se transmettent pas ainsi.

En Belgique francophone, le premier corpus universitaire de LSFB a été finalisé et présenté le 15 décembre 2015. C’est le premier témoignage scientifique de grande envergure de la richesse sémantique, grammaticale, linguistique et culturelle de la LSFB.

En Communauté flamande, la langue signée d’usage et reconnue est la Vlaamse Gebarentaal (VGT).

En France, c’est la Langue des Signes Française (LSF), qui ressemble assez bien à la LSFB mais néanmoins avec des variantes de signaire (le « vocabulaire » des langues signées). En Angleterre, c’est la British Sign Language (BSL) et aux Etats-Unis c’est l’American Sign Language (ASL).

Il existe autant de langues signées qu’il y a de communautés sourdes à travers le monde. De par le rayonnement de l’anglais, l’ASL est aussi pratiquée dans beaucoup de pays du monde. Les personnes sourdes/malentendantes tiennent à la diversité de leurs langues signées tout autant que les personnes entendantes tiennent à la diversité de leurs langues orales et refusent le quasi-monopole de l’anglais.

En revanche, à la différence de l’anglais qui est utilisé lorsque deux personnes étrangères oralistes (= mot qui désigne les personnes qui s’expriment oralement) se rencontrent et qui nécessite un long temps d’apprentissage préalable pour être maîtrisé, les personnes sourdes/malentendantes signantes étrangères sont capables d’établir un moyen de communication qui devient très rapidement efficace. Il faut avouer que cette efficacité pour établir une communication commune à partir de langues signées parfois très différentes, est hallucinante. Cette habilité a permis l’émergence de ce qu’on appelle les Signes Internationaux. C’est une sorte d’espéranto des langues signées, sauf qu’à la différence de l’espéranto, les signes internationaux se construisent directement au travers des interactions entre les natifs de différentes langues signées. Des recherches linguistiques sont actuellement conduites au Marx Planck Institute à Nijmegen aux Pays-Bas pour étudier, justement, la manière dont les signes internationaux se décident, s’établissent et se répandent entre les personnes sourdes et malentendantes qui voyagent et rencontrent les communautés sourdes à travers le monde.

Dans beaucoup de pays, il est tentant pour les entendants qui apprennent les langues signées, de calquer leur signaire (=vocabulaire) sur la grammaire de la langue parlée du pays. En Belgique francophone, cette pratique donne lieu au « français signé ». On utilise le vocabulaire de la LSFB pour exprimer des phrases, une grammaire, des expressions et des idées typiquement françaises.

Le problème de cette pratique c’est qu’elle ne constitue pas en elle-même une langue logique et porteuse de sens. C’est comme si on parlait l’anglais en utilisant la grammaire française, ce serait incompréhensible tant pour les Anglais que pour les Français. Même les personnes sourdes qui sont parfaitement bilingues français – LSFB éprouvent des difficultés à bien comprendre le français signé, alors que sur le principe, elles sont susceptibles d’être celles qui le comprennent le mieux. Cette pratique n’apporte aucun bénéfice linguistique, ni du côté des utilisateurs du français ni du côté des utilisateurs de la LSFB, même pour passer d’une langue à l’autre. Au contraire, elle freine le passage d’une langue à l’autre et l’accomplissement des apprentissages de chacune. C’est comme si, dès le début de votre apprentissage de l’anglais, vous preniez le réflexe de penser l’anglais avec une grammaire française, cela vous handicapera pour progresser en anglais.

L’écrit

Apprendre une langue orale quand on n’entend pas ou mal est extrêmement difficile et, même avec le meilleur des appareillages, cela demande un accompagnement spécifique (familial, logopédique, scolaire…).

Accompagnement qui est très présent, approximatif, ou totalement absent. Chaque personne qui a grandi avec ce handicap a aussi connu un parcours d’apprentissage différent.

Là où certains se débrouillent très bien en français, et vont jusqu’à acquérir un niveau de maîtrise supérieur à la moyenne du grand public entendant, d’autres éprouvent toujours des difficultés, même au bout de plusieurs années de scolarité, à construire des phrases orales, et donc écrites aussi, exemptes de fautes de français, syntaxe ou grammaire. Les personnes sourdes et malentendantes dont les origines familiales ne sont pas ancrées dans les pays francophones ont souvent encore plus de difficultés.

Pour ces personnes, les langues d’expression de prédilection restent souvent les langues des signes. Ce n’est que grâce à elles qu’elles pourront exprimer le fond de leur pensée, en toute spontanéité et sans craindre la peur du jugement qui est ressentie à l’écrit ou à l’expression orale.

Ainsi, il faut savoir que beaucoup de personnes nées ou devenues sourdes dans la petite enfance ne sont pas à l’aise avec le français, même et surtout écrit. Avec les années, les appareils auditifs devenant de plus en plus performants, et les enseignements bilingues français-LSFB émergeants, la tendance change. Mais il faut être conscient qu’aujourd’hui encore, beaucoup d’adultes qui ont grandi en étant sourds, ont cette difficulté. Ici, on ne parle pas vraiment d’analphabétisme, mais plutôt d’un illettrisme important.

C’est pour cette raison que lorsqu’on fait le choix d’une adaptation pour le public sourd/malentendant, il faut veiller à ce que le recours au français comme moyen de communication ne soit pas exclusif ou ne se transforme en piège. Il faut également rester indulgent vis-à-vis du mode d’expression écrit des personnes sourdes/malentendantes.